La liberté dans le geste de création

La liberté dans le geste de création

3 juin 2018 Démarche heuristique
Je commence cette réflexion en m’attaquant à la question de la liberté qui m’apparait une dimension dynamisante de la démarche heuristique. Je parle de la liberté qui se joue dans le geste de création, du point de vue d’une artiste visuelle. Substantiellement, si j’implique la notion de création, se trouve l’implicite “d’apprendre quelque chose de neuf” dans la liberté de l’action créatrice, qui est aussi une liberté d’expression.

Création_Apprendre quelque chose de neuf

Dans sa filiation étymologique, la création dont je souhaite parler n’est pas directement la “création du monde”, mais tout de même reliée à l’action d’établir quelque chose pour la première fois. Comme j’existe dans un monde où les neurosciences sont à l’honneur, j’aime à penser que dans le processus de la création, il y a de nouvelles connexions synaptiques qui se font dans mon cerveau. Établir quelque chose neuf, sans prétendre être Dieu, s’inscrit finalement tout de même dans le sens que “réinventer” le monde. Cependant, je préfère considérer cela dans une modalité plus personnelle de renouvèlement qui me touche comme personne en tant que sujet de mon expérience. Il y a ainsi dans le phénomène du processus de création un réel potentiel pour le renouvèlement de soi, toujours déjà dans mon propre monde, dans le sens où la mise-en-action d’une oeuvre implique son lot d’apprentissages.

Le temps et la liberté

La liberté m’apparaît comme une sorte d’état sans frontière. Je crois que le plus souvent les délimitations/limitations viennent de moi-même. Avez-vous déjà été confronté à des états de procrastination ? Oui… Je sais… Pour beaucoup de personnes, ces états sont nécessaires afin que la nouveauté se manifeste. De mon côté, je crois que le vrai défi est celui de ne pas dépendre de quoi que ce soit pour me mettre au travail. Mais surtout, il s’agit de prendre le temps de prendre le temps. Il importe que je me mette au travail et les heures passent sans que je m’en rende compte. Souvent je me dis que ça se passe “entre mes deux oreilles”. Dans ces conditions, la difficulté est plus spécifiquement liée à une question existentielle. Ne pas me lâcher. J’ai souvent envié l’énergie des hommes dans la création, ils sont généralement persévérants et ils ne semblent pas paralysés par le doute. Ce qui m’amène naturellement à la question de la confiance, qui pour ma part est une fondation de la démarche heuristique !

La confiance et la liberté

Si je réfléchis bien, il est évident que pour moi la confiance est une dimension à travailler. Elle se révèle constamment assez fragile. Je rencontre une sorte de “timidité” de mise-en-action de façon générale et aussi de mise-en-relation, comme par exemple montrer mon travail aux autres. Et pourtant, lorsque je suis bien ancrée dans ma confiance, je peux réellement me déployer dans une grande liberté et mes mises-en-action s’en trouvent nécessairement inventives.

Liberté d’action

Natalie Goldberg, auteur du livre “Thunder and Lightning” traduit en français par “L’écriture : du premier jet au chef d’oeuvre”, parle d’une certaine liberté d’écrire dans la soumission à la forme, à la structure et au projet. C’est peut-être un moyen de contrer la “procrastination paralysante” et le doute… Il est certain qu’avec des échéances telles qu’une exposition ou une rencontre avec un acheteur, le travail tend à se terminer ! Mais pour moi, avant même de penser à la question des modalités d’action, je rencontre des problématiques de mises-en-action. 

Le temps / le lieu

L’état de liberté est ainsi composé d’une plage de temps pour soi. À cela, l’auteur Julia Cameron, avec son livre “Libérer votre créativité”, propose de se donner la discipline d’écrire 3 pages par jour et d’un ou plusieurs rendez-vous d’artiste sous forme d’atelier libre durant la semaine. Donc elle parle d’un bloc de temps quotidien comme une sorte de discipline et d’un bloc de temps hebdomadaire ou tout est possible. Ces deux façons d’aborder la création sont complémentaires et permettent de faire émerger/évoluer un projet. Personnellement, je suis également confrontée à la question d’un lieu. Depuis longtemps mon atelier est chez moi, dans un espace restreint alors que je ressens souvent le besoin d’espace pour m’exprimer pleinement. C’est un principe de réalité avec lequel je dois composer. Pour le moment, je peux rêver d’un atelier dédié uniquement à mon travail de création. Cependant, que je dois m’accommoder avec mon espace modulable. L’occasion est belle ici pour établir une filiation avec la “Chambre à soi” de Virginia Wolf, dans mon cas ce serait l’acquisition d’un atelier où je peux travailler en toute liberté de salir, de prendre de la place, de me donner une intimité de création… À la lumière ce ce texte, je saisis intensément la liberté comme étant un temps et lieu en soi, à l’intérieur de soi-même en même temps qu’une réalité extérieure. Dans le sens de la dimension intime relié à soi, la liberté est aussi une responsabilité envers soi-même d’honorer le désir de création et l’expression singulière qui en émerge.

Liberté d’expression, honorer qui je suis

La responsabilité de la liberté appelle une reconnaissance de soi à soi. Je me dois de me reconnaître dans ma création et dans mon désir de création, et cela sans jugement. La question qui s’impose ici c’est : Comment devenir le meilleur “coach” ou allié de moi-même? À la lumière du “Parcours de la reconnaissance” de Ricoeur, la reconnaissance apparaît une clé de la liberté, de même qu’elle participe de l’identification/distinction pour encourager tous les petits pas à effectuer sur le chemin de la création. La reconnaissance se joue entre soi et soi, entre soi et autrui et entre soi et le monde. Je ne peux m’empêcher de faire un lien avec la question de la confiance, car il me semble que si je suis capable d’un premier niveau de reconnaissance envers moi-même, cela inscrit définitivement une assise pour la confiance…

À propos de l'auteur

France Pepin: Artiste plasticienne, France Pepin explore les matériaux de la peinture. Avec en filigrane la question du temps, elle recherche dans l’inscription du présent ce qu’il porte comme potentialités. En résonance avec Valéry et Prigogine, se trace l’allégorie d’un temps à devenir. Sur le plan heuristique, c’est une écoute subjective, sensible et spontanée, des matériaux en jeu.